La saisie de nom de domaine : mythe ou réalité ?

saisie de nom de domaine

Un nom de domaine peut revêtir une certaine valeur patrimoniale, et certains cybersquatters l’ont bien compris, en achetant à bas prix des noms de domaine dans l’unique but de les revendre, soit à un titulaire de marque n’ayant pas encore enregistré son nom de domaine, soit à toute personne pouvant y être intéressés. C’est la règle du « premier arrivé, premier servi »
Dès lors, et dans la mesure où l’article 2284 du code civil dispose « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. » nous sommes en droit de nous interroger sur l’éventuelle saisissabilité d’un nom de domaine.

Avant d’étudier l’éventualité d’une saisie de nom de domaine, il est nécessaire d’effectuer un travail d’analyse :

Quels sont les biens saisissables ?

L’article L112-1 du code des procédures civiles d’exécution précise que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur « . Dès lors, et dans la mesure où des biens incorporels sont saisissables (article L231-1 CPCE), il convient de s’interroger sur ce qu’est un nom de domaine. Avant cela, rappelons que l’article L112-2 du même code prévoit quels sont les biens qui ne sont pas saisissables, le nom de domaine d’un site Internet n’y est pas cité.

 

Qu’est ce qu’un nom de domaine ?

Techniquement, un nom de domaine est une suite de caractères (exemple leroi-associes) couplé à une extension, qui peut être .fr, .com etc. Il s’agit d’une chaîne compréhensible qui remplace une adresse IP (internet Protocol) et à laquelle elle est associée.

A l’origine, cette adresse était composée de quatre groupes de chiffres séparés par des points, différents et uniques pour chaque ordinateur, permettant ainsi de le localiser physiquement et de partager des données avec lui via le réseau.
Dans les années 80, a été créé le système de noms de domaine (DNS : Domain Name System), dans le but de remplacer la suite de chiffres de l’adresse IP d’un ordinateur par une suite de caractères formant un mot compréhensible et facilement mémorisable pour un esprit humain.

Le titulaire d’un nom de domaine réserve et achète un nom de domaine auprès d’un registrar, c’est à dire un organisme accrédité par les autorités compétentes en matière d’attribution et de gestion des noms de domaines Internet, agréé par l’ICANN (Internet Assigned Numbers Authority)

Dès lors, on pourrait penser qu’il y a transfert de propriété au registrant (le nouveau titulaire du nom de domaine) qui est donc réellement le propriétaire d’un nom de domaine.

Pour autant, un nom de domaine possède-t-il toutes les caractéristique d’un bien meuble corporel et peut on avoir un droit de propriété sur un nom de domaine ?

Toute la difficulté est en effet liée à la nature juridique du nom de domaine :

La nature juridique d’un nom de domaine

Nous avons déjà vu dans de précédents articles que des biens meubles incorporels, sont saisissables. C’est le cas des parts sociales, mais aussi des marques, des licences de débit de boissons ou encore de licences de taxi.

Dans le cadre commercial, le nom de domaine est un élément incorporel du fonds de commerce :
C’est en effet un signe distinctif permettant de rallier la clientèle, mais ce n’est pas une marque puisque le nom de domaine n’est pas lié à des produits ou services déterminés. En réalité, le nom de domaine se rapproche plus de l’enseigne que de la marque ; c’est d’ailleurs ce que dès le 8 avril 2005, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait jugé dans une affaire soldeurs.com , en soumettant au nom de domaine les mêmes exigences que celles auxquelles sont soumises les enseignes.

La loi du 22 mars 2011 a modifié la règle du premier arrivé, premier servi et l’ordonnance du 12 mars 2014 a parachevé cette modification. Ainsi l’article L45 du code des Postes et des communications électroniques est ainsi rédigé :

Les noms de domaine sont attribués et gérés dans l’intérêt général selon des règles non discriminatoires et transparentes, garantissant le respect de la liberté de communication, de la liberté d’entreprendre et des droits de propriété intellectuelle.
Les noms de domaine sont attribués pour une durée limitée et renouvelable.
Sous réserve des dispositions de l’article L. 45-2, le nom de domaine est attribué au demandeur éligible ayant le premier fait régulièrement parvenir sa demande. Un nom de domaine attribué et en cours de validité ne peut faire l’objet d’une nouvelle demande d’enregistrement.
L’enregistrement des noms de domaine s’effectue sur la base des déclarations faites par le demandeur et sous sa responsabilité.

Notons que les noms de domaines sont attribuées dans l’intérêt général et que par conséquent des noms de domaine peuvent ne pas être attribués. Mais surtout, ces noms de domaine sont attribués pour une durée limitée et renouvelable.

 

Définition du droit de propriété au regard du nom de domaine 

Le droit de propriété est défini par l’article 544 du Code civil comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière de la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ».

Le titulaire d’un nom de domaine semble en effet avoir le droit de jouir du nom de domaine de manière absolue : il peut l’utiliser, et l’associer à tel usage de son choix, à condition qu’il n’en fasse pas un usage prohibé (tel était par exemple le cas du nom de domaine vu plus haut : soldeurs.com qui utilisait le mot solde, ce qui est prohibé pour les enseignes commerciales.

La propriété d’un nom de domaine répond à la définition du droit de propriété tel que défini par l’article 544 du code civil.

Attributs du droit de propriété

Le droit de propriété possède trois attributs : l’usus, le fructus et l’abusus
* l’usus consiste en le droit d’user de la chose
* le fructus en le droit d’en tirer profit
* l’abusus est le droit d’en disposer (de le vendre par exemple)

Dès lors, un nom de domaine comporte bien les trois attributs du droit de propriété.

Caractères du droit de propriété : 

Le droit de propriété est, en principe, absoluindividuel et perpétuel.

Absolu : le propriétaire peut faire ce qu’il veut du bien : il peut l’utiliser comme bon lui semble, il peut le vendre ou même le détruire, dans la limite de l’usage prohibé visé  à l’article 544.
Individuel (ou encore exclusif):  un bien ne peut en principe avoir qu’un seul propriétaire.
Perpétuel : le droit de propriété existe tant que le bien existe. Il se transmet aux héritiers lors du décès du propriétaire.

Si la propriété d’un nom de domaine possède les caractères d’absolutisme et d’exclusivité, rappelons que l’article L45 du code des Postes et des communications électroniques dispose notamment que « Les noms de domaine sont attribués pour une durée limitée et renouvelable. » 

Dès lors, nous nous trouvons face à une difficulté dans la mesure où la propriété d’un nom de domaine semble ne pas répondre pas au caractère perpétuel du droit de propriété.

La perpétuité de la propriété emporte deux conséquences :

  • la durée du droit de propriété n’est assortie d’aucun terme
  • le droit de propriété ne se prescrit pas par le non-usage

On pourrait donc arguer que du fait de l’absence de perpétuité fait obstacle à la qualification juridique de propriété en ce qui concerne un nom de domaine. Pourtant, il existe plusieurs exceptions à ce principe de perpétuité et notamment le droit d’auteur : En effet, les droits d’auteurs tombent dans le domaine public 70 ans après le décès de l’auteur.
Notons également que le droit de propriété consenti au titulaire d’un brevet a une durée de validité de 20 ans.

En ce qui concerne le nom de domaine, l’article L45 du code des Postes et des communications électroniques prévoit en tout état de cause que le droit est renouvelable, ce qui permet à son titulaire de ne pas le perdre. Dès lors, la seule absence du caractère perpétuel d’un nom de domaine ne semble pas devoir écarter à lui seul la qualification de droit de propriété.

Cependant, l’article 2227 du code civil prévoit que le droit de propriété est imprescriptible. Cela entraîne notamment que le droit de propriété ne se perd pas par le non usage de la chose. Or, en matière de nom de domaine, qu’en est-il exactement ? Un nom de domaine non exploité est-il protégé ? La question revêt une certaine importance dans la mesure où il est courant d’entendre dire qu’un nom de domaine inexploité n’est pas protégé.

En réalité, il n’existe pas, à proprement parler, de protection juridique du nom de domaine, s’il n’a pas été déposé en tant que marque.
La seule protection d’un nom de domaine conditionnée à son exploitation consiste à ne pas permettre au titulaire d’un nom de domaine inexploité de s’opposer à l’exploitation par une autre personne d’un nom de domaine similaire réservé postérieurement.

La seule inexploitation d’un nom de domaine ne suffit donc pas à  priver son propriétaire de son droit sur son propre nom de domaine. Le caractère perpétuel du droit de propriété est bien respecté.

 

En somme, le titulaire d’un nom de domaine est bien titulaire d’un droit de propriété sur son nom de domaine, lequel est, dans un cadre commercial, assimilé à une enseigne.

Evacuons l’idée que le fait de devoir payer un droit pour conserver son nom de domaine en ferait une espèce de droit de location ou d’usage. Tel ne peut être le cas car le nom de domaine n’existe que du fait de la volonté de son premier propriétaire de le créer : l’autorité compétente pour l’attribution et la gestion d’un nom de domaine n’en est pas propriétaire puisque le nom de domaine n’existe pas sans la volonté du registrant initial.

 

Dès lors, puisque le titulaire d’un nom de domaine se voit conférer un réel droit de propriété sur le nom de domaine, celui-ci est bien un meuble incorporel entrant dans son patrimoine. Au regard de l’article 2284 du code civil, le bien meuble incorporel qu’est le nom de domaine nous semble susceptible d’être saisi.

Quelle procédure pour saisir le nom de domaine ?

Comme nous l’avons vu, le nom de domaine est composé d’une suite de caractère et d’une extension. Les extensions (.com, .net, .fr mais aussi .biz etc.) sont gérées par diverses autorités.

Pour faire simple, concentrons-nous sur l’autorité française pour le nommage internet en coopération (Afnic) qui est, selon son site internet une « association à but non lucratif et gestionnaire historique du .fr,opérateur multi-registres au service des domaines de premier niveau correspondant au territoire national (.fr et ultramarines) et de plusieurs projets français de nouvelles extensions Internet.

L’Afnic est l’office d’enregistrement désigné par l’État pour la gestion des noms de domaine sous l’extension .fr. Elle gère également les extensions ultramarines .re (Ile de la Réunion), .pm (Saint-Pierre et Miquelon), .tf (Terres australes et antarctiques Françaises), .wf (Wallis et Futuna), .yt (Mayotte).

En ce qui concerne la saisie proprement dite, s’agissant d’une procédure non codifiée, et pour cause, la saisie d’un nom de domaine doit être créée artificiellement. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des saisies de biens incorporels, qui ne sont pas codifiés. c’est ainsi que les saisies d’autorisation de stationnement (licences de taxi), de licences de débit de boissons par exemple ont été créées par la pratique et la doctrine, puis validée par la jurisprudence.

La Cour de Cassation, dans un avis du 8 février 1999 (bull civ n° 1, D 1999 287) a en effet validé le principe de la saisissabilité  d’un droit incorporel (en l’espèce une licence de débit de boissons),  dans les formes d’une procédure de saisie de droits d’associés et de valeurs mobilières. De nombreuses jurisprudences ont par la suite validé ce principe pour d’autres droits incorporels.

Dès lors, il convient d’adapter et de transposer (selon les termes mêmes de l’avis précité) la procédure de saisie des droits d’associés et de valeurs mobilières à la saisie de nom de domaine.

Nous n’allons pas ici développer la procédure en question, mais, rapidement la brosser, telle que nous l’imaginons. Telle que nous l’imaginons car à notre connaissance cette saisie de noms de domaine n’a jamais été réalisée en France dans le cadre d’une procédure civile d’exécution :

  • La saisie débute par une saisie entre les mains du tiers émetteur. Là débute la première difficulté : qui est l’émetteur du nom de domaine ? L’Afnic ou bien le bureau d’enregistrement ? Le bureau d’enregistrement (ou registrar) est en effet l’intermédiaire obligatoire entre les internautes et l’Afnic et aucune démarche ne peut être effectuée directement à l’Afnic.
    Lors d’une transmission forcée d’un nom de domaine (on parle de transmission forcée si le cédant n’existe plus ou encore en cas de décision judiciaire ou de décision prise dans le cadre d’une procédure alternative de résolution des litiges (PARL), c’est le bureau d’enregistrement qui doit procéder aux démarches auprès de l’Afnic, à l’aide d’un formulaire en ligne, en cochant la case « P » et renseigner le champs 2B par un « F ». Ce n’est qu’après que l’AFNIC vérifie la validité de la demande.
    Pour l’ensemble de ces raisons, qui sont plus pratiques que juridiques, il semble que la saisie doive être effectuée entre les mains du bureau d’enregistrement ayant enregistré le nom de domaine. Nous risquons d’ailleurs de nous trouver confronté à une difficulté si le bureau d’enregistrement n’est pas en France.
  • Cette saisie pourrait être dénoncée immédiatement à l’Afnic en même temps qu’elle le serait au débiteur.
  • Le propriétaire du nom de domaine dispose alors d’un mois pour contester la saisie.
  • Passé ce délai d’un mois, la vente peut être organisée. S’agissant d’un bien meuble incorporel, c’est l’huissier de Justice qui est compétent pour procéder à la vente.