Saisie de bitcoin : est-il possible de saisir des crypto-monnaies ?
De plus en en plus de particuliers, voire d’entreprises, détiennent des bitcoins et se pose la question de l’éventuelle saisie de bitcoin. Avec leur forte volatilité, les crypto-monnaies (nous parlerons ici de bitcoins car il s’agit du premier crypto actif, le plus connu et le plus répandu, mais les développements qui suivent sont applicables pour la majorité des crypto monnaies, qu’il s’agisse du Dash, de l’Etherum, le Litecoin, etc.), ont attiré les français et aujourd’hui une étude affirme que 6,7% des français en détiendrait. Ceci est notamment a raison pour laquelle notre étude est la première étude à accepter les paiements en bitcoins.
Il est vrai qu’avec une progression sur 5 ans de +4386% en 5 ans (à la date d’écriture de cet article), l’investissement s’est révélé particulièrement rentable.
Dès lors, les bitcoins peuvent être un élément conséquent du patrimoine.
Or, les articles 2284 et 2285 du code civil, définissent le gage général des créanciers comme suit :
Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. (art 2284)
Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. (art 2285)
Afin de vérifier si les bitcoins font bien partie des actifs entrant dans le gage général des créanciers, puis d’étudier leur saisissabilité, il convient d’étudier le régime juridique des crypto monnaies.
Le régime juridique des cryptomonnaies
Controns immédiatement une idée reçue : les crypto monnaies ne sont pas un actif occulte et non reconnus. En effet, la France reconnaît les crypto actifs. Tout d’abord, l’administration fiscale a dès 2014 soumis les gains en bitcoins à l’impôt et le Conseil d’Etat, le 26 avril 2018, en a requalifié la fiscalité des gains (BNC et non plus BIC). Cette décision a eu l’intérêt de donner une première qualification juridique, que tout le monde pressentait, à savoir qu’une crypto-monnaie telle que le bitcoin est un bien meuble incorporel.
L’ordre judiciaire a affiné cette première définition. En effet le tribunal de commerce de Nanterre , le 26 février 2020, a rendu une décision très intéressante quant à la nature juridique du Bitcoin :
Un contentieux opposait Paymium et BitSpread depuis plusieurs années. BitSpread avait emprunté 1000 Bitcoin auprès de la banque d’échange française Paymium. Or, le 1er août 2017, un hard fork (une scission) a donné naissance à une nouvelle cryptomonnaie, le Bitcoin Cash. Le contentieux portait sur la question du retour au prêteur des Bitcoin Cash issus de la scission, et exigé par Paymium.
Le tribunal de commerce de Nanterre a alors donné raison à BitSpread, qui s’opposait à la demande. Et la motivation de la juridiction consulaire apporte une définition du bitcoin : les juges ont en effet établi que le Bitcoin était un actif fongible, similaire bien que différent de la monnaie fiduciaire, et que le prêt en Bitcoin relevait du prêt de consommation (à ne pas confondre avec le prêt à la consommation) : c’est un actif incorporel fongible et consomptible, c’est à dire un bien qui se consomme par son usage et qui est remplacé par un autre de même nature :
la monnaie est ainsi un actif fongible (si vous prêtez 10 euro, vous n’attendez pas à ce que vous osit rendu le même billet que celui que vous aviez prêté) et consomptible.
Une fois la nature juridique du bitcoin établie, reste à savoir comment les crypto monnaies peuvent être appréhendées par les créanciers.
Tout d’abord, notons que les saisies peuvent être effectuées avec ou sans titre exécutoire, mais qu’en l’absence de titre exécutoire dûment signifié, la saisie n’est que conservatoire et se fait (sauf quelques exceptions sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici) sur autorisation judiciaire.
Voyons ici le cas le plus fréquent de la saisie suite à titre exécutoire.
La saisie d’un bien meuble incorporel est de deux types :
- d’une part, la saisie des créances (Titre 1er du livre consacré aux procédures d’exécution mobilière, dans le code des procédures civiles d’exécution) que peuvent être les saisies sur compte bancaire, les saisies de loyers…
- d’autre part, la saisie des droits incorporels, (Titre III du même livre) dans lesquelles on peut retrouver, codifiées, les saisies de valeurs mobilières, celles de parts sociales… mais aussi, créées par la pratique les saisies de marques, de licences de taxi ou de débit de boissons etc.
Reste par conséquent à définir au regard des ces deux grandes familles de saisies possibles.
Et c’est au regard de la définition donnée par le Tribunal de Commerce de Nanterre (actif incorporel fongible et consomptible) que le choix de la procédure doit être fait.
Toutefois, il est important dès à présent de noter que la crypto monnaie étant en perpétuelle évolution, il existe déjà des projets de crypto monnaies non fongibles, notamment au sein de la communauté Ethereum…
Avant d’envisager la procédure à mettre en place, il faut savoir où et comment sont conservées les crypto monnaies :
Les différents mode de conservation des crypto monnaies :
Les crypto-monnaies peuvent être conservées de deux façons principales :
Elles peuvent être en effet conservées d’une part sur la plateforme d’achat : dans ce cas elles sont conservées en ligne et concrètement la clef publique et la clef privée sont conservées par le site. On parle de hot wallet.
Mais elles peuvent également être conservées hors ligne, dans ce qu’on appelle un cold wallet : il s’agit généralement d’une clef USB sécurisée dédiée et conçue à cet effet, ou simplement sur un paper wallet (il peut s’agir alors d’une simple feuille de papier sur laquelle la clef privée est conservée).
En réalité, les crypto monnaies ne quittent pas la blockchain, c’est leur représentation qui est conservée sur le portefeuille en ligne ou hors ligne. Toutefois, tout comme les parts sociales sont dématérialisées (et la monnaie également), c’est bien entre les mains du détenteur de la représentation du crypto actif à saisir qu’il convient de procéder à la saisie.
Dans le cas d’une conservation par la plateforme , nous nous retrouvons dans le cas où un tiers détient un bien meuble incorporel fongible et consomptible pour le compte d’un autre.
Dans le cas d’une conservation hors ligne, nous nous retrouvons dans une situation inédite de bien meuble incorporel fongible et consomptible conservé en propre par son propriétaire, et matérialisé par une clef privée.
Les différentes saisies selon le mode de conservation des crypto monnaies
La saisie de bitcoin entre les mains d’un tiers (hot wallet) :
Dans le cas d’un hot wallet, comme nous l’avons vu, la saisie de bitcoin doit être effectuée alors que ceux-ci se trouvent entre les mains d’un tiers.
La saisie entre les mains d’un tiers est une opération régulièrement traitée par les huissiers de Justice et elle consiste schématiquement à rendre indisponible le ou les biens saisi(s) entre les mains de ce tiers et avertir a posteriori le débiteur en lui ouvrant parfois une possibilité de contestation, à moins que la suite de la procédure se passe justement devant le juge (car de la saisie de bateau, navire ou aéronef, par exemple).
Reste à savoir quelle procédure doit être mise en place, parmi les deux procédure vues précédemment (saisie de créances et saisie de droits incorporels).
Dans la mesure où les bitcoins sont des biens meubles incorporels fongibles et consomptibles, il nous semblerait que la seule procédure possible, soit la saisie de la créance que détient la plateforme sur le propriétaire des bitcoins. En effet, la saisie attribution (procédure par laquelle une créance de somme d’argent est appréhendée) est l’acte par lequel est saisie une créance. C’est notamment le cas par exemple d’une saisie entre les mains d’un établissement autorisé à détenir des comptes de dépôts.
A partir du moment où une saisie de créances s’effectue par voie de saisie attribution, la saisie de bitcoin (actif ayant juridiquement les mêmes caractéristiques que la monnaie) devrait pouvoir se faire par voie de saisie attribution.
Cet argument se heurte toutefois au libellé du titre Ier du second livre du code des procédures civiles d’exécution, partie législative qui est : « La saisie des créances de sommes d’argent »
De plus l’article L211-1 du code des procédures civiles d’exécution précise le champ d’application de la saisie attribution :
Tout créancier muni d’un titre exécutoire (…) peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent (…)
Alors que l’ancienne procédure de saisie-arrêt (qu’a remplacée en 1992 la saisie attribution) prévoyait une possibilité de saisir-arrêter l’ensemble des « effets appartenant à son débiteur, qui ne sont pas des immeubles par nature, ou s’opposer à leur remise », la saisie attribution a son champs d’application réduit aux seules créances de sommes d’argent.
Toute la question est donc de savoir si la crypto monnaie est une somme d’argent. La réponse est négative puisque tant la loi Pacte que les décisions précitées (Conseil d’Etat, Tribunal de Commerce de Nanterre) ont toujours pris soin de préciser que les bitcoins ne sont pas de la monnaie, même si ils en partagent des caractéristiques.
En conséquence, la saisie-attribution ne semble pas devoir trouver à s’appliquer à la saisie de bitcoin, puisque les cryptomonnaies ne sont pas des sommes d’argent.
L’article L231-1 du code des procédures civiles d’exécution précise que :
Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d’argent, dont son débiteur est titulaire.
Ainsi, quand bien même les crypto actifs ont des caractéristiques à la monnaie, il semble qu’il faille user de la procédure de saisie des droits incorporels.
Cette procédure est celle qui a été utilisée pour la saisie des biens meubles incorporels pour lesquels une procédure spécifique n’existait pas, qu’il s’agisse par exemple d’une licence de débit de boisson, ou encore une saisie de marque.
D’une manière pratique, la saisie est effectuée entre les mains du tiers détenteur, puis dénoncée au débiteur. Là se posera une question d’extraterritorialité de la mesure d’exécution dans la mesure où, si des plateformes sont françaises (Paymium, dont le siège est à Boulogne Billancourt, par exemple), d’autres sont à l’étranger, qu’il s’agisse de l’Espace Européen ou non.
La saisie de bitcoin détenus sur un cold wallet :
Lorsqu’ils sont détenus hors ligne, les crypto actifs sont en réalité toujours détenus sur la blockchain, mais la clef privée est alors stockée hors ligne. En conséquence, et contrairement au cas précédent, c’est directement entre les mains du débiteur que la saisie de bitcoin doit être réalisée.
Il s’agit alors de saisir un bien meuble incorporel consomptible et fongible détenu directement par le débiteur, sans inscription chez un tiers (comme par exemple pour un brevet).
La saisie doit alors consister en la saisie physique de la clef privée. Nous nous trouvons donc dans le cas inédit d’une saisie d’un bien incorporel, matérialisé par un bien meuble corporel. Une procédure mixte de saisie devra alors être réalisée, permettant l’appréhension de la clef privée, détenue soit sur une seule feuille de papier, un fichier informatique, ou un appareil conçu spécifiquement pour cela, qu’il s’agisse d’un appareil de la marque française Ledger ou de l’entreprise tchèque Trezor.
C’est un défi pour les professionnels que sont les huissiers de Justice futurs commissaires de Justice.