La saisie de NFT

saisie de NFT

Metaverse, NFT, crypto… impossible aujourd’hui d’ignorer ces nouveaux domaines. Première étude d’huissiers de Justice à notre connaissance à accepter les paiements en bitcoin, nous nous étions déjà intéressés à la saisie de bitcoin. Aujourd’hui, la montée en puissance des NFT nous amène à parler de la saisie de NFT : est-ce possible ? Et si oui, sous quelle forme ?

Avant de parler de la saisie de NFT, intéressons nous d’abord au régime juridique des NFT.

Les NFT émergent et sont mis en avant depuis notamment la vente le 11 mars 2021 chez Christie’s d’une œuvre numérique de l’artiste Beeple pour plus de 69 millions de dollars. Il s’agissait précisément d’un NFT (pour Non Fungible Token).

Un NFT, qu’est ce que c’est ?

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un jeton qui, contrairement à un autre crypto actif, n’est pas fongible et n’est donc pas interchangeable. Pur faire simple, un bitcoin est un jeton fongible car un bitcoin peut être remplacé par un autre bitcoin, sans affecter sa valeur : c’est exactement le cas d’un billet de banque qui peut être échangé contre un autre billet de même valeur.

Au contraire, le NFT est un jeton unique, indivisible et infalsifiable, qui dispose intrinsèquement de caractéristiques propres et d’une valeur qui lui est attachée.

A ce jour, aucune règlementation spécifique ne réglemente les NFT et si nous prenons la définition de l’article L552-2 du code monétaire et financier, le jeton est un “bien incorporel représentant sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien”.

Au vu de cet article, pour être qualifié de jeton, le NFT doit :

  • fonctionner sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé : c’est le cas puisqu’il fonctionne sur la blockchain
  • constituer un bien incorporel : aucun doute là dessus puisque le NFT représente un code informatique inscrit sur la blockchain, et il ne représente que cela
  • représenter sous forme numérique un ou plusieurs droits : le NFT est nécessairement associé à des droits, qu’il s’agisse, dans le cas d’un utility token du droit d’accès futur à un service ou un produit, ou des droits associés à des actions (security token)

Il semble bien qu’un NFT est bien un jeton au sens de l’article L552-2 du code monétaire et financier.

La saisie de NFT :

Valorisés parfois à plusieurs centaines ou plusieurs millions de dollars (le NFT de Beeple a été vendu plus de 69 millions de dollars, les NFT issus de la série des CryptoPunk de Matt Hall et John Watkinson trouvent acquéreurs à des somme dépassant les 5 millions (le CryptoPunk7523 a quant à lui a été adjugé 11,8 millions de $)… et The Merge de l’artiste Pak est pour le moment le NFT le plus cher depuis qu’il a été vendu le 4 décembre 2021 91,8 millions de dollars.

Sans atteindre ces extrêmes, il est fort à parier que des NFT trouveront un marché secondaire à des prix toujours en hausse, notamment dans le domaine des jeux vidéo et des metaverse (on pense notamment aux NFT issus de Sorare, jeu français de fanstasy sports combinant jeu vidéo, résultats issus de compétitions réelles, collection de cartes et NFT qui s’échangent de quelques euros à 250 000 euro (prix de la carte unique de Christiano Ronaldo)

 

Les NFT sont par conséquent susceptibles d’être un actif du patrimoine du débiteur.

Or, les articles 2284 et 2285 du code civil, définissent le gage général des créanciers comme suit :

Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. (art 2284)

Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. (art 2285)

Nous avons déjà vu (voir notre article sur la saisie de Bitcoin) que les crypto actifs sont susceptibles d’être détenus sur la plateforme d’achat, mais aussi hors ligne sur des appareils prévus à cet effet (voir notre article pour plus de précisions)

Jusqu’à il y a peu, les NFT ne pouvaient pas être transférés sur un cold wallet, mais la société française Ledger, pionnière dans le domaine, a annoncé lors du LedgerOp3n en décembre 2021 la création d’un portefeuille Ledger Nano S+ prenant en charge les NFT

En conséquence, c’est en fonction du mode de détention des NFT qu’il conviendra d’agir.

Dans le cas d’une conservation par la plateforme , nous nous retrouvons dans le cas où un tiers détient un bien meuble incorporel non fongible pour le compte d’un autre.

Dans le cas d’une conservation hors ligne (en réalité, seule la clef privée est détenue hors ligne), nous nous retrouvons dans une situation inédite de bien meuble incorporel non fongible conservé en propre par son propriétaire, et matérialisé par une clef privée

La saisie de NFT détenus par une plateforme

L’article L231-1 du code des procédures civiles d’exécution précise que :

Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d’argent, dont son débiteur est titulaire.

Le NFT étant un meuble incorporel ne s’apparentant pas à une somme d’argent, il semble que seule la procédure de saisie des droits incorporels ait vocation à s’appliquer.

Cette procédure est en effet celle qui a été utilisée pour la saisie des biens meubles incorporels pour lesquels une procédure spécifique n’existait pas, qu’il s’agisse par exemple d’une licence de débit de boisson, ou encore une saisie de marque.

D’une manière pratique, la saisie est effectuée entre les mains du tiers détenteur, puis dénoncée au débiteur. Là se posera une question d’extraterritorialité de la mesure d’exécution dans la mesure où, si des plateformes sont françaises (on a parlé de Sorare, dont le siège est à Saint Mandé 94), d’autres sont à l’étranger, qu’il s’agisse de l’Espace Européen ou non.

La saisie de NFT détenus hors ligne

Lorsqu’ils sont détenus hors ligne, les crypto actifs sont en réalité toujours détenus sur la blockchain, mais la clef privée est alors stockée hors ligne. En conséquence, et contrairement au cas précédent, c’est directement entre les mains du débiteur que la saisie de bitcoin doit être réalisée.

Il s’agit alors de saisir un bien meuble incorporel consomptible et fongible détenu directement par le débiteur, sans inscription chez un tiers (comme par exemple pour un brevet).

La saisie doit alors consister en la saisie physique de la clef privée. Nous nous trouvons donc dans le cas inédit d’une saisie d’un bien incorporel, matérialisé par un bien meuble corporel. Une procédure mixte de saisie devra alors être réalisée, permettant l’appréhension de la clef privée. Cette clef est détenue soit sur une seule feuille de papier, un fichier informatique. Elle peut également être détenue sur un appareil conçu spécifiquement pour cela, qu’il s’agisse d’un appareil de la marque française Ledger ou de l’entreprise tchèque Trezor par exemple.

Restera alors la difficulté liée à l’accès à la clef privée si elle est conservée sur un appareil de type Ledger ou Trezor. En effet pour déverouiller l’appareil un mot de passe est nécessaire. A défaut de communication volontaire du mot de passe, monsieur Julien Risser dans la Revue Pratique du recouvrement (EJT – Dalloz) préconise dans son article « Crypto-actifs et exécution : saisie impossible ? »  l’utilisation de l’astreinte.

C’est en effet une voie qui pourrait être utilisée pour contraindre le débiteur à remettre les moyens d’accéder à son NFT.

Cette solution a toutefois pour inconvénient intellectuel de transformer une saisie ingénieuse en une liquidation d’astreinte…